(FR) Laisse parler Gaïa : donne une voix à la Terre dans ton projet
Une journée d’immersion pour la Terre au Camp d’Été Rêve du Dragon et Gestion du Possible 2024
Une des premières choses qui m’anime lorsque je pense au Summer Camp “Donner du cœur et des Racines à nos rêves”, c’est la Connexion à la Terre. Le sujet est arrivé au moment de déterminer les Songlines1 et les objectifs boule de neige. Il était clair que la connexion à la terre était manifestement la deuxième priorité après le programme que nous avions à concocter le jour J, pour la sortie de résidence.
Une des peurs les plus fréquentes dans le groupe et qui est revenue souvent au sujet des messages délivrés par la Nature est la peur de projeter notre monde sur le monde qui nous entoure : « et si c’était moi qui me racontais des histoires sur ce que me dis la Terre ? ». Cette inquiétude légitime – cette peur de se tromper entre réel et imaginaire – peut être le point de démarrage de nos investigations plutôt que d’en être la fin : je proposais donc d’en tenir compte et de s’immerger dans la nature pour commencer.

Nous partîmes jeudi pour la Gourgue d’Asque, aussi appelée « la petite Amazonie » probablement pour sa nature mystérieuse et profondément énergétique. C’est un endroit où j’ai observé des phénomènes énergétiques très particuliers et une impression d’être « partout dans le monde » tant la diversité et la puissance de la vie se manifeste dans les formes, la diversité des espèces et les surprises qui peuvent nous y attendre à chaque fois : salamandres tachetées de sortie ? Sources apparues sous les roches ? Recoin magnifique où se baigner ? Une certaine excitation était palpable au sein du groupe et une envie farouche d’expérimenter était présente alors que notre journée de sortie de résidence approchait.
Top départ. Nous décidons tout de même de partir en silence malgré le nombre de visiteurs présents sur le site. Je me rappelle d’avoir jugé par le passé des personnes qui ne me répondaient pas lorsque je leur disait « bonjour » : je suis désormais leur exact miroir, et cette fois-ci c’est moi qui ne dit rien. La politesse ordinaire a laissé place à l’expérimentation. Que se passe-t’il déjà lorsque nous faisons silence ? L’envie de communiquer est autre, notre attention est autre : tout entière tournée vers le vert des mousses et des feuillages, le gris des roches, les sons de notre marche et des cailloux qui crissent sous les chaussures.
Respiration.
La montagne tremble. Des pierres surgissent d’entre les arbres. Peur panique pour certains qui courent en amont. Je reste à observer. Je suis convaincu qu’il y a un message à travers cela, j’accélère le pas car la chute est incertaine et arrive sur notre chemin. À l’écart l’autre partie du groupe avait ralenti en amont. Maude dira « mon corps m’a dit : « ralentit » et j’ai décidé de l’écouter ». « J’ai eu très peur » dit Ludivine en tentant de se calmer et de respirer.
Que voulait dire Gaïa à travers cette chute de pierres ? « Pourquoi priorisez-vous l’argent plutôt que la connexion à la terre ? » est la première pensée qui fuse en moi, encore galvanisé par la peur de la chute de pierres. L’énergie circule en moi à un niveau élevé et une clarté se fait dans ce message : ce n’est pas moi qui invente. La phrase se pose : « ni en dessous, ni au dessus, mais faisant parti de l’écosystème » suivit de « nous avons oublié que nous faisons parti de l’écosystème car nous avons décimé nos plus grands prédateurs, néanmoins nous sommes toujours mortels et interdépendants de cet écosystème » .
Deux personnes dans le groupe on développé une aptitude plus tranchée à se connecter et recevoir des messages de la Terre. En travaillant notre intuition, en passant un temps d’expérimentation depuis de nombreuses années, nous avons développé un 6ème sens : le muscle de notre intuition vis-à-vis des éléments naturels. L’un de ces outils, extrêmement simple, est de se poser la question « à quoi pensais-tu juste avant de croiser cet animal ou de voir ce signe ? ». Clairement avant la chute de pierres, je pensais à l’argent et à l’économie du camp d’été car c’est un sujet que les groupes humains peuvent avoir tendance à reléguer pour cause de résistances à la culture moderne qui l’emploie d’une manière irresponsable : captation des richesses, utilisation égocentrique ou à des fins spéculatives. Le message est clair pour moi comme pour Ludivine qui respire encore, le cœur palpitant de sa course et de sa peur. « la nature est là pour te remettre dans le droit chemin » est le message capté par elle, dans le sens de « fais maintenant ce qui est important pour toi, non ce qui est urgent » et « c’est maintenant, c’est ta vie ».
Nous reprenons notre marche, secoués pour certains, ravivés pour d’autres, j’ai l’impression que cette « épreuve » nous a davantage ouverts, que nous regardons avec des yeux plus précis et aiguisés. Nous partons en quête d’un lieu où nous baigner dans la rivière. Nous avons déterminé en groupe que nous sommes ok de nous baigner nus ensemble. Après une hésitation et la découverte qu’un cours d’eau généralement très généreux est presque asséché, nous rebroussons chemin et finissons par trouver une vasque où nous baigner. Il y a quelques passants de l’autre côté mais notre envie de goûter l’eau est plus forte. Chose étrange le flux de passant s’est arrêté lors de notre baignade.
L’eau est froide, ce qui ne nous empêche pas de la goûter, telle une source de vitalité qui nous ravive et nous rapproche, nous désengourdit. La présence de notre nudité et de cette nature puissante et vibrante me touche, nous touche : un sentiment de plénitude, de connexion, de vrai est palpable dans nos regards, l’agilité de nos gestes, la douceur de nos mouvements en est une conséquence.
Nous repartons vers le parking où nous allons regagner nos voitures. Et nous proposons notre jeu intimiste créé par Ludivine et moi-même : « Qu’en disent les patates ? ». Les interactions commencent et la première carte tirée pour Gaïa est « comment tu te sens, là, avec tes 4 sentiments : la colère, la peur, la tristesse et la joie ? ». Une fois encore mon corps ‘clique’ et m’indique la colère de Gaïa à ce que nous les européens passons plus de temps à faire de la compta et des Business Plans au lieu d’être avec les fougères, les plantes et les arbres. J’ai aussi de la colère, mais distincte, séparée : j’entends sa colère et je me sens en colère vis-à-vis de ce constat.
Lors du retour, la discussion me connecte avec Maude à ce pourquoi Gaïa a de la joie : mon projet ! Elle témoignera à travers la bouche de nos multiples compagnons que Gaïa a de la joie que nous créons des projets qui soutiennent l’écologie et qu’elle soit représentée et vivante à travers nos projets. « Mais pourquoi vraiment ? » les questions de Maude me ramènent à chaque fois à plus de précision : je fais mon projet pour l’Amour du jeu et de la sincérité. Je veux accueillir des personnes qui veulent jouer dans la sincérité dans mon café Permaculturel à Bagnères de Bigorre.
Lors du retour dans la voiture, un certain calme se pose malgré la porte latérale qui ne pouvait pas s’ouvrir et l’escalade des sièges avant pour s’asseoir. En discutant avec mes compagnons de route et se reposant les questions posées à la Terre, l’impression d’équanimité ressort, la tristesse que l’humain soit déconnecté de Gaïa et la peur qu’il n’écoute pas et qu’elle doive s’exprimer avec plus de force quitte à nous secouer.
L’Autel en honneur à Gaïa est né de cette première rencontre à la Gourgue d’Asque ainsi que de l’immersion qui a suivit dans la soirée en rentrant au Mélilot.
Une autre forme d’immersion, par les sens, est proposée.
Nous repartîmes un avec les yeux bandés l’autre le guidant en descendant vers la forêt, une fois une méditation de centrage et d’ancrage à la terre guidée par Paloma. Cette descente vers la forêt se fit en silence afin que chacune capte à sa façon le code de confiance imprimé par la main de l’autre, sur l’épaule, par de petites pressions donnant la direction.

Les éclats de rire, l’imprévu, l’invitation à donner à goûter avec ses 5 sens la nature recrée un lien ineffable, indicible, subtil, réel. Karin et Julien, les yeux toujours bandés, s’aspergent mutuellement en riant. La main de Karin rencontre celle d’un autre, comme se questionnant « mais à qui est-ce ? ». Plusieurs on goûté des framboises, ont sentit des fleurs, touché des feuilles et des écorces d’arbres tout en s’habituant à un nouvel équilibre les yeux fermés. Il y a une sorte de fulgurance qui donne à la connexion à la Nature quelque chose d’incontrôlable, d’immanent, de réel au-delà du réel. Réveiller nos sens au dépends de celui de la vue, qui a tendance à prendre les 80 % de notre attention est l’un des débuts.
Un imprévu sur le chemin : une brebis coincée dans la clôture. Le temps de prendre soin de cet animal et la marche reprend avec des murmures et des questionnements. Le son du tambour appelle à se rejoindre auprès de l’espace ‘Phénix’, baptisé ainsi par son cercle construit autour du feu. Un espace intimiste, dédié aux relations, qui finalement va servir à animer notre feu intérieur pour la Nature et pour Gaïa.
Paloma nous lit son texte inspiré de ses moments de connexion et de méditation avec les lieux. « ... ». Inspiré du Bùto, l’Art japonais de la disparition dans la nature et de ma connexion à Auroville ainsi qu’aux textes de Mira Alfassa, parlant régulièrement aux plantes, aux animaux, aux minéraux, le monde entier peut être perçu comme « un organe communiquant » et rejoint certaines philosophies bouddhistes « d’équanimité » (tout est juste dans l’instant) et des cultures aborigènes de « tout est interconnecté, entremêlé ».
L’invitation est de partir disparaître dans la nature. Partir pour se laisser absorber par la nature. À l’inverse du focus de la concentration, nous utilisons le focus (le corps énergétique dans la Gestion du Possible) pour nous diluer. « et si tu devenais la nature ? » nous dit « La Mère » ainsi surnommée par les indiens d’Auroville, en référence à sa capacité à embrasser un Amour Inconditionnel en action. La phrase me revient « Et si toute ton attention, toute ta présence était absorbée par un état d’adoration de la nature ».
Disparition.
Lors de la mise en place du feu, je témoigne de ma difficulté à sortir d’une colère émotionnelle de me trouver face à l’incontrôlable : les forces de la nature à travers la brebis coincée dans la barrière et la capacité qu’à ma partenaire à être directive. Les liens que nous avons créés en amont en sont pour quelque chose : je me livre spontanément à Paloma, je lui témoigne ma peine d’être dans l’expectative que « quelque chose de mauvais va avoir lieu » ou « que j’ai fait une erreur ». « De quoi aurais-tu besoin ? » me questionne-t’elle. « Faire du feu me va bien. Toucher des brindilles, reprendre contact avec mon corps physique, avec la matière me fait revenir ». ‘clic’ me fait mon corps énergétique : c’est le moment de faire le feu pour celles et ceux qui vont réapparaître depuis la forêt.2
Le Corps Physique est pleinement utilisé : je suis dans mes sensations, à l’écoute de mon cœur qui palpite, de mes tensions et relaxations musculaires, de la position de mon squelette.
Le Corps Mental est au service de l’action ou de la placidité : je ne suis pas dans mes histoires que je me raconte, je pense par rapport à une action qu’elle soit d’écrire cet article ou bien de calculer mon prochain pas, il est connecté à une Nécessité d’agir.
Le Corps Émotionnel me permet de sentir le monde, ce que je veux, ce que je ne veux pas, ce pourquoi j’ai de la colère, de la tristesse, de la peur et de la joie.
Le Corps Énergétique est focus, clarté, présence, précision de la concentration, à 100 % ici avec son attention.
La connexion à ce Corps Archétypal se fait une fois que tous les autres corps sont ouverts et connectés : je me sens pleinement investi de la mission qui m’est confiée. Cet état de pleine reliance à l’ensemble de ce qui m’entoure peut être perçu chez certains animaux d’une vivacité incroyable. As-tu déjà observé la rapidité du lézard ? La fulgurance de l’oiseau ? L’étrange présence de la salamandre ?
Nos invités enforestés3 nous rejoignent, suivant leur instinct et le son du tambour. Le cercle est ouvert : nous invitons les intuitions recueillies de chacunes lors de leur ‘disparition’.
Un deuxième obstacle se profile à ce moment là dans le silence qui se pose : « est ce que le message de Gaïa s’imprime avec suffisamment de force pour qu’il soit entendu ? ». Là je me rappelle encore le message de la Mère à ce propos « chacun pourra dire « oh cette affirmation ne vient pas avec suffisamment de force pour que je la priorise ».
Si “chacun voit midi à sa porte”, il est peu probable dans les société occidentale que les messages de la terre soient entendus. Et je ne parle même pas des sociopathes au pouvoir déconnectés de tout bon sens, la tête dans les Business Plans.
Il est donc plus que nécessaire de laisser la place à l’importance du message lui-même, en le partageant. As-tu imaginé que les messages de la Terre pourraient nourrir et embellir ton projet ? C’est le pari que nous avons fait.
3e obstacle à l’horizon : la tentation de rester dans le connu et éviter l’expérience du moment présent. Alors que le silence se posait, la 3e tabou social des société occidentales est revenu à ma porte : “pas de silence c’est gênant”.
Je crois que nous avions trop tissé de liens pour que cela arrive. Nous avons suffisamment tissé. Le silence était là. Cependant une tension persiste pour nous pousser à aller plus loin. L’envie de faire venir l’inspiration du chamanisme durant ce moment pour Paloma et l’envie de connecter à notre champ inventé pour cet événement nous amène tous les deux à dire « non » l’un après l’autre. Tels des gardiennes de l’espaces, prêtes à le défendre. Un nouveau silence apparaît, plus profond encore.
Cette dernière joute pour faire advenir le silence touche à son but. Malgré les envies de combler le vide, le silence persiste. Une forme de douceur indescriptible me traverse. Les braises baissent progressivement en intensité. J’ai ressenti ce soir là un rare moment de plénitude et de sérénité. Avoir goûté en groupe, au bout de 7 jours une telle intimité fût un moment de grâce délicieuse que je n’oublierai pas : un peu comme une pluie après la canicule, une accalmie après un tourbillon, un espace-temps hors du temps.
Le fait de ‘laisser parler Gaïa’ fût célébré le jour suivant avec l’édification d’un Autel en sa faveur, ainsi que de moments de silence encore partagés lors de la sortie de résidence.
Une ‘Songline’, en français “ligne tracée par le chant” est un itinéraire chanté dans la culture aborigène d’Australie, initié par l’ancètre de chaque tribu dans le temps du rêve et de la création, qui lui a permis de trouver son chemin. Il est transmis de génération en génération. Chaque famille a un chant distinct, on les reconnaît ainsi entre eux. Il n’y a que les membres de la même famille qui chantent ce chant. C’est avec ce chant qu’ils se repèrent dans l’espace. Ce chant raconte également la vie de l’ancètre au temps originel, de la création. “Les mythes aborigènes de la création parlent d’être totémiques légendaires qui avaient parcourru tout le continent au temps du rêve. Et c’est en chantant le nom de tout ce qu’ils avaient croisé en chemin - oiseaux, animaux, plantes, rochers, trous d’eau - qu’ils avaient fait venir le monde à l’existence” (Résumé puis citation entre guillemets du Chant des pistes, de Bruce Chatwin). C’est aussi un chemin de vie pour un projet, il permet de se rappeler et de n’oublier aucun élément tout en laissant une part créative, non-linéaire ou inatendue dans le processus afin de laisser place au vivant.
Voir l’article “Créer en collectif” qui va suivre pour plus d’informations sur les ‘Songlines’ et son processus, le Karrabirdt.
Dans la Gestion du Possible, nous distinguons 5 corps, avec lesquels les aborigènes, d’où vient l’inspiration de la Permaculture et du Rêve du Dragon sont beaucoup plus familiers. Dans « Messages des Hommes vrais au monde mutant » Marlo Morgan parle de cette capacité qu’a l’être humain, en partant de rien, de sentir sa direction dans le désert, sans mourir de faim. La pratique qui amène à se connecter à son corps Archétypal, aussi définit par un psychologue sous le nom de ‘Flow’ dans les équipes de travail ou au sein d’une action. Certains romans d'Orson Scott Card décrivent également d'autres états de conscience, comme la rencontre avec les habitants du désert dans Treason. Ce sont des romans intéressants à découvrir.
Terme employé dans le livre Sur la piste animale de Baptiste Morizot, qui désignait l’action d’aller en retraite en forêt pour les Québéquois. Se terme est étendu ici à l’entièreté de l’action de disparaître dans la nature.